A propos du premier jardin botanique de Strasbourg

L'ancienne ville libre impériale de Strasbourg peut s'enorgueillir d'avoir possédé, depuis 1619, un jardin botanique dont l'importance a dépassé de loin le cadre local. Trois années après sa création, il est qualifié de "splendidissimus" par le professeur de botanique et d'anatomie Caspard BAUHIN (1550 - 1624), auteur du fameux "pinax theatri botanici" dédié au Préteur de la ville de Strasbourg, Adam ZORN.

Historique

L'histoire du jardin, en question fut relatée par le professeur A. FEE, son directeur de 1833 à 1870, lors de l'édition d'un catalogue des plantes cultivées dans cet établissement (1). L'auteur du catalogue a tenu à préciser "qu'il n'existait alors en 1619 de jardins botaniques qu'en Italie, Hollande et en Allemagne... La France, à cette époque, en possédait un seul, celui de Montpellier (fondé en 1593, cf. 2)... Le jardin des plantes de Paris... n'existait pas encore (seulement à partir de 1635)... ce sera presque une nouveauté pour la France d'apprendre l'époque précise de la fondation de" celui de Strasbourg. Sa fondation "remonte assez haut pour devenir un titre de gloire en faveur de l'Alsace, qui dans tous les temps a suivi et quelquefois même devancé les nations les plus éclairées de l'Europe dans la carrière glorieuse des sciences". Ce n'est pas un Alsacien qui nous a transmis cet éloge ! A bon entendeur, salut !

Ce premier jardin botanique était implanté sur un terrain de la Krutenau, en l'occurrence sur l'emplacement de l'ancien couvent Saint-Nicolas. Dès l'époque de sa fondation, le médecin et professeur Johan Rudolf SALZMANN assurait sa direction jusqu'à 1652, l'année de sa mort. La ville de Strasbourg fit construire déjà en 1633 les premières serres, destinées à la culture de plantes exotiques, surtout d'origine circum-méditerranéenne. Un des successeur de SALZMANN, Markus MAPPUS, publia en 1691 un premier catalogue comportant 1.400 végétaux (espèces, variétés et formes), un deuxième fut édité par les soins du Professeur et Pharmacien Jakob Reinbold SPIELMANN (1722-1783) dans lequel 2.200 espèces réparties sur 540 genres sont énumérées (1766). Dans un catalogue dont l'auteur n'est pas connu, édité en 1781, il est même question de 3.000 "plantes" réparties en 700 genres, ce qui prouve que le jardin était constamment en pleine expansion. Enfin, dans la publication de FEE (1836), d'une conception moderne où l'on rencontre pratiquement peu de difficultés d'interprétation avec la classification et la nomenclature actuelle, 4.700 espèces sont indiquées (1.338 genres groupés en 144 familles).

En 1870, pendant le siège de la ville-forteresse de Strasbourg ce premier jardin botanique fut converti en lieu de sépulture, du fait que tous les cimetières se trouvaient en dehors de l'enceinte fortifiée. Après 1871, dans le cadre de la nouvelle Université, fut créé le jardin botanique actuel (4). De l'arboretum installé en 1882, subsistent un assez grand nombre d'arbres spectaculaires, notamment l'immense Pterocarya du Caucase près de l'entrée de la rue de l'Université.

Quelques indications intéressantes du catalogue de 1836

Nous pouvons admettre avec certitude qu'un certain nombre d'espèces ont été introduites pour la première fois en Alsace, notamment celles que l'on peut qualifier de "mauvaises herbes", selon la terminologie courante. Dans ce cas, la conclusion du poème de GOETHE, "der Zauberlehrling" (l'apprenti sorcier) est pleinement justifiée, c'est-à-dire : "Die Geister (die ich rief) werd' ich nicht mehr los", soit : "je ne peux plus me défaire des esprits invoqués". Exemples : les amarantes, les Solidages (Solidago canadensis et glabra) ; Aster Novi belgii et A. tradescanti. Ces quatre dernières espèces déterminent actuellement l'aspect de la strate herbacée d'une grande partie des forêts rhénanes et des terrains vagues. Dans ce contexte, il faudra également citer la balsamine à petites fleurs (Impatiens parviflora) ainsi que les Phytolacca. Quelques plantes ornementales, cependant moins envahissantes, sont à présent intégrées dans notre flore : les Mimules (M. guttatus et M. moschatus) ; Lysimachia punctata, etc. Dans plantes cultivées à l'époque en serre tempérée, comme par exemple les Yucca de Caroline ou Tritoma uvaria d'Afrique du Sud, se trouvent actuellement en plein air dans nos jardins d'agrément.

A propos du Ginkgo biloba, nous trouvons les indications suivantes : "... un Ginko (sic) à feuilles bilobées de la Nouvelle-Hollande (aujourd'hui l'Australie) végète comme dans sa terre natale". C'est un curieux lapsus calami car le Ginkgo biloba ne se trouve qu'en Chine ou au Japon, où il a été introduit depuis des siècles. Nous retrouvons le Ginkgo biloba dans la chapitre des Conifères, soit : "Gingko (sic) biloba Japon", classé à l'époque dans les "Taxineae". En ce qui concerne particulièrement trois plantes indigènes ou naturalisées, nous apprécions les remarques très pertinentes de la part de FEE. Il s'agit des espèces suivantes : Typha minima Hoppe, la Petite massette, probablement disparue de la flore d'Alsace, était considérée comme extrêmement fréquente sur les bords du Rhin ("Ad ripas fluvii Rheni vulgatissima"). Struthiopteris germanica Willd., selon la nomenclature actuelle Matteucia Struthiopteris Torado : l'indigénat de cette belle fougère à frondes dimorphiques est douteuse pour l'Alsace. FEE indique qu'elle est introduite au Ballon de Soultz, où elle est naturalisée ("...in Ball. Sulz. Alsat. introd et nunc spontanea"). Une plante aquatique flottante, Stratiotes aloides L. était présente dans le jardin d'où elle s'est échappée dans les eaux strasbourgeoises ("nunc spontanea prope Argentoratum : ex aquis"). Cette espèce n'est même pas citée dans la Flore d'Alsace ; elle se trouvait cependant dans le Petit-Rhin à Strasbourg jusqu'en 1920 environ et signalée actuellement dans la région de Karlsruhe (5).

Bibiliographie

(1) FEE A. (1836) : Catalogue méthodique des plantes du jardin botanique de la faculté de médecine de Strasbourg - F.G. Berger Levrault, Strasbourg.

(2) ULBRICH E. (1920) : Planzenkunde I. - 445p., Reclam; Leipzig.

(3) BARREAU H. (1988) : La science dans une région, dans les Institutions - Les sciences en Alsace, p9- 31. Oberlin, Strasbourg.

(4) GAGNEU A. (1988) : La Botanique universitaire en Alsace, au jardin, au laboratoire -S.A. p. 239 - 257.

(5) OBERDORFER E. (1962) : Planzensoziologische Exkursionsflora für Süddeutschland une die angrenzenden Gebiete - 987 p. Ulmer, Stuttgart.

(6) BACHOFFNER P. (1988) : Esquisse d'une histoire de l'enseignement pharmaceutique à Strasbourg - S.A. p 211 - 238.

 

Article écrit par Fritz GEISSERT
Paru dans l'Info Ried 1997/1



07/08/2007
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