Bruno Manser, le robin des bois tropicaux - 1995

Il voulait vivre comme aux origines de la terre, il a vécu 6 ans chez les Penans, un peuple mystérieux de l'île de Bornéo. Il voulait y rester éternellement, le sort en a décidé autrement.

Revenu en Europe, Bruno MANSER se consacre désormais à la sauvegarde de ses amis Penans menacés par la destruction progressive des forêts.

Chemise trappeur à gros carreaux, jeans noirs rembourrés, godillots de routard aux pieds, petites lunettes rondes, Bruno MANSER apparaît quelque peu anachronique dans cette salle surchargée du centre socio-culturel de la Robertsau où 600 personnes ont pris place début janvier pour assister à la conférence donnée par ce Suisse de 40 ans à propos de son combat.

Un brin réservé, il ne l'est plus quand il s'agit d'évoquer ses amis pénans, un peuple de 10 000 âmes qui vit au Nord de l'île de Bornéo, au coeur de la forêt de Sarawak. D'une voix lente et posée, il explique dans un français quasiment impeccable, n'étant trahi que par un léger accent alémanique et quelques trous de mémoire, les problèmes auxquels sont confrontés les Penans et surtout les 260 irréductibles nomades avec lesquels il a vécu 6 ans : "la forêt, c'est toute leur vie, la source de toutes leurs richesses. Tout ce qui leur est nécessaire pour vivre en provient. Actuellement, cette forêt est en train d'être détruite à cause de l'abattage exponentiel des arbres par de puissantes entreprises forestières".

      L'école des bergers      

Ecologiste, il l'est incontestablement, mais avant d'être un activiste, Bruno MANSER est surtout, et en fait tout simplement, un amoureux de la nature.

Né à Bâle en 1954, il a toujours été fasciné par la nature : "c'est la vie. Partout, il y a du mouvement, il y a des odeurs. Ce sont nos racines".

A 18 ans, il préfère rejoindre "l'école des bergers et des artisans plutôt que l'université". "Je n'avais pas envie d'être l'auteur de quelque chose comme mes amis. J'avais envie de faire mes propres études, d'apprendre les gestes essentiels de la vie dans la nature" explique-t-il.

Il vivra onze dans les alpages suisses, partageant sa vie entre le métier de berger et des stages chez différents artisans. Il a débuté comme commis fromager, "serviteur du fromager" comme il le dit lui-même. Puis les stages se sont enchaînés. Il fut tour à tour bûcheron, menuisier, maçon, boucher et même soudeur. Toujours dans le même but : "tout savoir pour survivre et comprendre l'origine des objets. Je n'avais pas pu développer une relation avec les objets jusque-là car je ne savais pas pourquoi et comment ils étaient fabriqués" se souvient-il.

Mais Bruno MANSER n'est pas complètement satisfait de cette vie. Il n'a pas encore trouvé ce qu'il cherche réellement : "les bergers et les artisans ont déjà oublié beaucoup de choses. Mêmes les plus âgés ne connaissent plus les secrets des anciens. Mon désir était de vivre comme aux origines de la Terre, sans aucun apport de la civilisation moderne".

      Lakei Penan     

Il a attendu que son chien "lui ai dit au revoir" pour quitter les alpages de sa Suisse natale. Il a alors 30 ans. En partant, il dit à ses parents de ne pas l'attendre avant 3 ans. Il sera parti 6 ans. 6 ans pendant lesquels il est devenu "Lakei Penan", l'homme penan. De 1984 à 1990, il vit à leur rythme, partageant leurs traditions, leur culture et leur nourriture. Il apprend à se servir d'une sarbacane et à cueillir les fruits et les plantes. Il expérimentera les joies et les dangers de la jungle. Il faillit même mourir, piqué au genou par une vipère rouge. D'ailleurs depuis, il boîte légèrement, le muscle étant nécrosé.

Naturellement, logiquement, il se met à parler puis à penser en penan. Doué pour les langues, Bruno MANSER en parle d'ailleurs 6. L'allemand, le penan, le français et l'anglais couramment et deux autres, l'italien et le serbo-croate, pour reprendre une expression penan "qu'il comprend dans l'eau peu profonde mais pas dans l'eau profonde".

Au fil des années, il note ses découvertes. Plantes, fruits, arbres, animaux, instruments de la vie quotidienne de la vie des Penans, "Lakei Man" très doué en dessin, croque tout dans ses carnets(*).

Mais cet homme, un peu mystique, beaucoup romantique, va se trouver confronté, au bout de 2 ans de cette vie originale, à un dilemme : "j'étais parti à Bornéo pour l'amour de la nature, pour la découvrir, pour dessiner la flore et la faune, pour transcrire les contes indigènes, pour me faire plaisir. J'étais à 10 000 lieues du désir de me battre. Mais j'ai dû choisir. soit partir pour soutenir les Penans, soit rester perdre mon temps à recueillir des informations sur une culture menacée et une forêt condamnée" explique Bruno MANSER.

       Bulldozers contre sarbacanes     

Il essayera pourtant, avant de quitter son Eden, de défendre la forêt et les Penans. Il organise des concertations entre eux. Sous leur dictée, il rédige la "charte des Penans, le peuple des sources". très vite, le gouvernement malaisien le rend responsable de l'agitation des habitants de la forêt et notamment des manifestations de 1986 contre les bulldozers. Sa tête est mise à prix. Recherché par la police, "ils m'ont tendu deux embuscades. Ils m'ont même tiré dessus", Bruno MANSER se rend compte que le combat est inégal. On ne lutte pas contre des bulldozers avec des sarbacanes.

Il quitte Bornéo en 1990, promettant à ses amis de tout faire pour les aider. fidèle à sa parole, l'idéaliste devient pragmatique. Dès son retour, il crée la Fondation Bruno MANSER, destiné à récolter des fonds.

Depuis, avec ses nombreux bracelets penans autour des poignets, ses petites lunettes rondes dont l'armature est faite de fines tiges de fer légèrement ondulées par des chocs, ses cheveux coupés au bol et sa tête toujours inclinée sur le côté, il voyage à travers le monde. Il a donné des conférences au Japon, aux Etats-Unis, en Australie et, bien sûr, en Europe.

Toujours aussi persuadé de la justesse de son combat, Bruno MANSER tente de faire pression auprès des gouvernements pour qu'ils réagissent et diminuent leurs importations de bois tropicaux. Il essaie également de sensibiliser les consommateurs. Il a même poursuivi un jeûne dans 60 jours en 1993 à Berne.

Cet homme, qui a un peu l'aspect de la forêt qu'il défend, insaississable et mystérieux mais sincère et attachant à la fois, sera à nouveau à Strasbourg, début novembre, à l'occasion de l'exposition qui sera consacré à son oeuvre au Musée Zoologique.

Article de Ludovic MAUCHIEN
1995

(*) "Voix de la Forêt Pluviale" par Bruno MANSER.



05/07/2007
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